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14 décembre 2009 1 14 /12 /décembre /2009 17:29

au_fil_des_notes_01.jpgConcert à Tokyo, soirée à Montréal, récital à Berlin, New York, Londres ou Varsovie… On côtoie Zubin Mehta  et Seiji Ozawa, on croise Bernadette Chirac et Ivry Gitlis… On se dit qu’on entre là dans un monde qui n’est pas le nôtre, champagne, limousine et chauffeur. On se dit que les souvenirs et le quotidien d’une femme très très riche – fût-elle très très brillante – ne va pas franchement nous enthousiasmer à l’heure où l’on craint pour son emploi et où on connaît mieux les étals du Leader Price que de chez Fauchon. Et pourtant…

 

Pourtant, « Au fil des notes… », le journal d’Hélène Mercier Arnault, ci-devant Mme Bernard Arnault (propriétaire du groupe LVMH, première fortune française) n’a rien d’indécent, de superficiel, d’inutile. Mieux, cette pianiste « de renommée internationale », selon la formule consacrée, sait nous émouvoir et nous faire partager sa passion pour la musique dont la fréquentation est, d’après elle, « une école de modestie ».

 

Au fil de ses notes, courts textes de quelques lignes ou de quelques pages, Hélène Mercier Arnault évoque ses parents, son mari qui ne supporte pas qu’elle voyage mais ne lui a jamais demandé d’arrêter le piano, ses années d’études à Vienne sous la direction de son mentor, Dieter Weber, mort d’un infarctus à l’âge de 46 ans. Elle se souvient de ses rencontres avec Rostropovitch et Kurt Masur, parle de ses trois enfants et de cette « culpabilité permanente » que vit toute mère de famille.

 

au_fil_des_notes_03.jpgHélène Mercier Arnault est touchante de simplicité et de fragilité assumée, dépassée à force de volonté et de travail. Mais une fragilité permanente, à fleur de mémoire, à fleur de musique. Le visage de Mado, la sœur, ne s’est jamais effacé. Madeleine la violoniste, qui a fait entrer la musique dans la vie d’Hélène, pour qui Hélène est devenue musicienne. Mado à la santé fragile, Mado et les paradis artificiels… Mado qui finit par se suicider.

 

Ce livre grave et beaucoup plus profond qu’il n’y paraît, est une belle déclaration d’amour à la musique, à la vie et à la nostalgie. Une nostalgie qu’adore Hélène Mercier Arnault, et qu’elle célèbre en toute intimité, en toute sincérité : « Prendre le temps de se replonger dans le passé, revivre dans les moindres détails des émotions oubliées, c’est voluptueux… Se délecter de saveurs anciennes, faire à nouveau tinter certains sons, se laisser envelopper par des flots d’images et d’impressions… Le passé m’intéresse, la nostalgie m’inspire : elle est l’un des sentiments fondamentaux qui traverse la musique romantique ».

 

« Au fil des notes » d’Hélène Mercier Arnault, éditions Plon, 186 p., 18, 90€.

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13 décembre 2009 7 13 /12 /décembre /2009 16:16

veracandidaQue sait-on de Vera Candida? Qu'elle est née Bustamente à Vatapuna, une île imaginaire d'Amérique latine, de Violette une jeune femme qui aimait trop les hommes elle-même fille de Rose, pêcheuse de poissons volants et prostituée. Maillon d'une lignée de femmes opprimées, Vera Candida décide que son enfant à naître connaîtra un autre sort.

 

Sur le mode d'un conte extravagant et coloré, Véronique Ovaldé fouille un monde cruel dominé par des hommes violents, un monde où même les femmes de caractère comme les Bustamente, ploient.

 

Pour Vera Candida, le salut est dans la fuite vers le continent, quitte à souffrir le palais des Morues. Seul l'amour de Billythekid effacera peut-être le poids de chagrins génétiques.

 

L'imaginaire débridé d'Ovaldé cisèle un roman sensuel et douloureux.

 

« Ce que je sais de Vera Candida » de Véronique Ovaldé. L'Olivier. 295 pages. 19 €.

 

« Ce que je sais de Vera Candida » a obtenu le Prix Renaudot des lycéens et le prix Roman France Télévisions 2009.

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12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 14:42

« Ma vie a pris fin le jour où mon fils a été déchiqueté ». C’est dit. Tel que. Sans pathos ni fioritures. Thierry Cohen n’est pas un homme de lettres. C’est un communiquant. Et un bon, à découvrir l’efficacité avec laquelle il mène l’intrigue de son deuxième roman, « Je le ferai pour toi », paru chez Flammarion.

 

Par Olivier Quelier

 

ferai-thierry-cohen-L-1.jpegThierry Cohen ne s’affiche pas littéraire. Ce n’est pas un reproche. Il faut du savoir-faire pour ne pas sombrer, avec un thème aussi terrible – la mort de son enfant dans un attentat – dans une quiète sensiblerie ; il faut du talent pour oser faire revenir ce gamin sous la forme d’un fantôme conversant avec son papa, sans nous asséner une mouture supplémentaire de Guillaume Musso ou de Marc  Lévy. (Rien de désobligeant pour ces deux derniers. Un simple constat : d’un procédé similaire, Cohen parvient à tirer une force dramatique supplémentaire, sans rien perdre du rythme, ni de la terrible –de l’effrayante – crédibilité de son récit).


Oui, Thierry Cohen est un communiquant. Et un bon. De ceux qui, avec des termes simples et  des images fortes, avec cet art hélas si peu français de montrer par des mots richement imagés plutôt que de disserter inutilement à coup de périodes littéraires engoncées dans la bienséance rigide de l’Université (« Névrosons nos lecteurs, mes chers confrères, nous serons incompris mais estimés à la valeur que nous croyons nôtre ») – de ceux, oui, qui savent raconter une histoire.


Et c’est bien de valeur dont il est question dans le roman de Thierry Cohen. Tout au long des quatre cents pages du livre. De la valeur d’un homme. Des valeurs des autres hommes. Sans y toucher, Cohen aborde des questions profondes. Des questions – mais, de grâce, ne fuyez pas : celui-ci est un type bien, pas un fin lettré condescendant – des questions existentielles.


D’où l’insidieux doute, que j’entends zonzonner dans vos cerveaux, depuis tout à l’heure, comme une agaçante mouche d’été. « On est bien dans la rubrique polar, là ? » Oui, parce que « Je le ferai pour toi » est aussi prenant qu’un thriller réussi : des faits, de l’action, des personnages typés, une intrigue qui vous harponne violemment et vous entraîne, consentant ou pas, à la perte de votre innocence, jusqu’au tréfonds de l’horreur.


L’histoire


Quand il perd son fils Jérôme dans un attentat, Daniel Léman quitte lui aussi ce monde, à sa manière. Il n’est plus du côté des vivants : « Je me consacre à la mort », explique-t-il, habité par une seule idée : venger son enfant. Il décide de tuer le cheik qui a commandité cet attentat. Daniel abandonne sa femme et son autre fils, Pierre, pour traquer l’Islamiste jusque dans sa retraite londonienne.


En parallèle, un deuxième récit, sans lien apparent. Jean, un SDF, est kidnappé par un obscur groupuscule. Pas de revendication, pas de demande de rançon. Une simple feuille de papier envoyée à un présentateur de télévision sur le retour, aigri et affamé de revanche médiatique. Une simple feuille, et quelques mots : « Quelle est la valeur de cet homme ? »


En résumant ainsi l’intrigue de « Je le ferai pour toi », on en a déjà trop dit. Et pourtant rien n’est dit. Ni l’histoire de Daniel, jeune malfrat dont la bande de copains va se reformer pour l’aider ; ni sa rencontre improbable et merveilleuse avec Betty, ni son ascension professionnelle… Rien de son intelligence pour monter son plan vengeur, pour approcher le cheik…


Bien sûr tout ça est romanesque. Bien sûr, les deux récits sont intimement liés. Bien sûr, il y aura des coups de théâtre. Cela suffirait déjà à composer un bon roman. Mais Thierry Cohen va plus loin encore. Il transcende le tout en bouleversant nos certitudes, en interrogeant les hypocrisies de nos sociétés occidentales, de nos promptes tendances à nous élever contre… à nous mobiliser pour…


Laissez tomber…


photoTout est-il aussi simple ? Cohen l’écrit : « En ce monde dérangé, la folie niche partout. Les hommes ont oublié le discernement, ne savent plus quelle part accorder à l’émotion et quelle place offrir à la compassion dans leur jugement. Ma rage n’est pas pire que l’égarement général. »


Cohen est un brillant communiquant. Il sait jouer avec les genres littéraires, jouer avec les… Mais brisons là. Si vous n’êtes pas convaincu, tant pis pour vous. « Je le ferai pour toi » est un livre dont on n’a pas envie de trop parler. Juste de le passer, de le prêter, de l’offrir. Parce que tout est dit dans ce roman et que le commenter est superflu. Indécent presque. Parce que si vous n’avez pas envie de réfléchir à la valeur de vos valeurs… laissez tomber.


Dans le livre, Cohen interroge Daniel qui voulait « écrire, simplement ». Pourquoi ne l’avait-il pas fait plus tôt ? « Sûrement n’avais-je rien de suffisamment intéressant à raconter ». Soyez sûrs d’une chose, braves (?) gens : maintenant, Cohen/Daniel a des choses à nous dire. Etes-vous prêts à les entendre ?

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11 décembre 2009 5 11 /12 /décembre /2009 09:52

Des menaces de mort avaient chassé Zuckerman de New York. Onze ans plus tard, la maladie l'y ramène pendant ces jours où l'Amérique réélit G.W. Bush. Dans la ville navrée, l'écrivain misanthrope se heurte à une Amérique qui l'exaspère.

 

Une chronique de Frédérique Bréhaut


Désabusé par la scène politique au point de renoncer aux révoltes, trahi par l'âge, le septuagénaire affronte le passage du temps. Le séjour dans la ville organique de ses apothéoses lui apporte davantage de réponses qu'il n'en souhaitait peut-être. Le corps en débandade, l'esprit fragilisé par une mémoire récalcitrante, à 71 ans, il se sent tiré vers la catégorie des "déjà plus", ces "dépossédés d'eux-mêmes pour leur plus grande honte".


Nathan Zuckerman est arrivé à un point où les trahisons physiologiques lui importent davantage que la défaite de la pensée politique américaine.


Taraudé par le naufrage de la vieillesse, prostate en berne et mémoire instable, l'écrivain pourrait renoncer et s'en retourner vers sa thébaïde des bois. Or il puise son énergie dans son opposition à la parution d'une biographie de Lonoff, grand écrivain auquel jeune il vouait une profonde admiration. Sa détestation du projet encore exacerbée par la personnalité du journaliste arrogant qui en est à l'origine, conforte encore de son rejet "d'un pays atteint du virus de l'enquête". Enfin et surtout, Zuckerman rencontre Jamie Logan, bobo trentenaire affligée par la victoire de Bush et terrifiée par la crainte d'un nouveau 11 septembre. Les défaillances d'un corps inaccessible au plaisir n'empêchent pas le cœur de battre la chamade. Et Jamie allume chez le séducteur invétéré une passion promise au désastre.


Après « Un homme », Philip Roth revient sur la ligne d'ombre tracée par les renoncements. Familier de ce territoire où tout devient incertain sauf le déclin, il ne croise que frustrations et douleurs. Où trouver le salut lorsque le désir s'affirme hors de portée de la jouissance? Seule peut-être la littérature permet d'entrer en résistance. Quoique.... Zuckerman en est persuadé. "Nous, les gens qui lisons et écrivons, nous sommes des fantômes qui assistons à la fin de l'ère littéraire". Amer constat, dans la note de ce livre crépusculaire.


La puissance du roman emporte l'adhésion au point que le lecteur reconnaît en Nathan un semblable dont il partage les doutes et les interrogations.


"Exit le fantôme" marque le terme du compagnonnage entre Roth et Zuckerman. Trente ans après son apparition, le double du géant américain tire sa révérence sur un chef-d'œuvre  Au-dessus du gouffre, Nathan s'offre le luxe d'une ironie cruelle.


« Exit le fantôme » par Philip Roth. Traduit de l'anglais par Marie-Claire Pasquier, Gallimard, 330 pages. 21 €.

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                                                     Photo Copyright © Nancy Crampton

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9 décembre 2009 3 09 /12 /décembre /2009 08:21

C’est bizarre les mots ; ça tient à peu de choses. Un peu trop d’académisme, un rien d’indifférence et les voici noyés dans les flots trop larges des indispensables sur lesquels on ne pose jamais le regard. Petites mains des moindres pensées, des embryons d’idées, des grands projets et des rêves assumés, chair à stylo des grands textes et des petits billets, squatters anonymes des coins de table et des incunables millénaires.


Les mots restent et nous passons, eux mendiants de la rue, nous fanfarons ingrats… Heureusement, certains d’entre nous savent prendre le temps. De s’arrêter, de savourer l’instant, de profiter de la rencontre. S’arrêter sur les mots, c’est un peu comme croquer un bonbon inconnu : l’enveloppe est souvent trompeuse, qui réserve des saveurs acidulées souvent, pimentées parfois.


Edith a la curiosité saine des enfants coquins. C’est d’ailleurs une conversation avec sa fillette qui est à l’origine du « Dico des gros mots cachés dans les mots » (Libres et ris ! éditions). Une discussion qui s’est terminée sur ce petit conseil malin : « Si tu veux dire des gros mots sans te faire gronder, tu ne dis que des gros mots qui sont cachés dans les mots normaux, d’accord ? Ouvre bien tes oreilles ! Allez file ! »

 

Scatologie lettrée

 

L’impertinence cultivée et rigolote, on ne fait pas mieux. Car ne vous y trompez pas : Edith ne joue pas innocemment au pipi caca. Ici on « fait » certes, mais on fait dans la scatologie lettrée, dans l’étymologie qui ne poète pas plus haut que ça mais se réfère au très sérieux « Nouveau Petit Robert ».


Bien sûr, certains fronceront le nez, sentant dans cette valeur sûre au « caca rente » comme un appel salace et espiègle à sortir les gros mots de leur fange. Le quatrième de couverture annonce fièrement que ce petit pavé rose fera la joie des « zobs cédés textuels » bloqués dans des coinstots bizarres.


Le dico présente un peu plus de 250 gros mots cachés dans les mots, de « acculé » à « les obtus », avec bien sûr, pas mal d’entrées en « bit »,, « con » et « pine »… De quoi faire fuir, à défaut des serrés du cul, les étroits d’esprit qui confondent audace et vulgarité. A ceux-là, Edith rétorque : « Si votre pif est pudibond au point de défaillir, reposez cet ouvrage. Sinon, abordez-le avec humour et pertinence ».


Au final, vous ne regarderez ni n’entendrez plus les mots de la même manière… Du container à la compote, du suspect à la pipelette. Petites définitions piochées au hasard : « Compassion : sentiment qui pousse les femmes à partager le mâle d’autrui » ; « connue : qui passe inaperçue quand elle est habillée ».


Il faut prendre garde à ne pas tout dévoiler des définitions et laisser à chacun le plaisir de suivre les circonvolutions linguistiques de Madame Edith. La place est libre, profitez-en !

 

Le « Dico des gros mots cachés dans les mots » (Libres et ris ! éditions).

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6 décembre 2009 7 06 /12 /décembre /2009 17:46

Citoyen canadien depuis trente ans, un écrivain haïtien revient sur son île à la mort de son père, lui aussi exilé, mais à New York.

 

Une chronique de Frédérique Bréhaut

 

Après tant d’années d’éloignement, le narrateur doit réapprendre ce qu’il sait déjà de ce pays de ténèbres qui n’a pas été sauvé par la chute de la dynastie Duvalier. "Le dictateur m’avait jeté à la porte de mon pays. Pour y retourner, je passe par la fenêtre du roman". Sous la protection d’Aimé Césaire, ce roman du retour au pays perdu prend la forme d’un long chant où la poésie en prose se confronte à la réalité la plus âpre, celle qui provoque les exils et les violences irrémédiables.

 

La main sûre croque des images rapides, lumineuses, qui disent tout de cette terre accablée. La misère, les ventres vides, la corruption, la violence, rongent sans répit la « Perle des Antilles » de jadis. Le récit, cadencé par des strophes, comble les vides des années d’absence. Revenu au bercail, le narrateur retrouve sa mère, à jamais enracinée à son île, et découvre en son jeune neveu un double qui rêve de marcher sur ses pas d’écrivain exilé. La quête cependant tourne autour du père, l’homme immobile qu’il connaît si mal, hors de son image de résistant emblématique à Papa Doc.

 

Ce bout d’île navrée « où une journée dure une vie » inspire à Dany Laferrière son plus beau livre. Les senteurs sucrées, l’explosion des couleurs autour des fruits juteux, la sensualité de scènes saisissantes, traversent cette quête des racines qui de la première à la dernière ligne coule de source.

 

Car « L’énigme du retour » ne se limite pas aux contours d’un livre envoûtant. L’audace de la forme permet à Dany Laferrière d’entraîner le lecteur vers des questionnements profonds sur l’engagement, l’identité et la solitude de l’exil. Magique, comme les « nuits chagaliennes » de Port-au-Prince.

 

« L’énigme du retour » de Dany Laferrière. Grasset. 300 pages. 18 €.

 

(Photo : C. Beauregard)

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4 décembre 2009 5 04 /12 /décembre /2009 08:41

A force de tendre des passerelles entre les hommes, Colum McCann attrape entre les deux tours du World Trade Center la silhouette fragile et dansante d’un funambule, virgule noire posée sur le ciel tandis qu’à ses pieds, des existences cherchent leur point d’équilibre.

 

Une chronique de Frédérique Bréhaut

 

« Et que le vaste monde poursuive sa course folle » confirme le don de l’Irlandais pour orchestrer le mouvement, accorder à chacun sa place dans le tourbillon de la vie. Ce souffle enveloppe Corrigan, prêtre irlandais attaché contre vents et marées aux marginaux du Bronx, Jazzlyn, descendante incandescente d’une lignée de prostituées, Lara l’artiste à la dérive ou des mères dont les fils ne reviendront jamais de la guerre du Vietnam.

 

Autant de voix qui finissent par former un seul et même chœur traversé par un fil, plutôt un filin tendu un jour d’été 1974 par le funambule français Philippe Petit entre les sommets des Twin towers. L’évidence de cette silhouette inouïe sous les regards incrédules des New-Yorkais offre au romancier la plus singulière des apparitions, mélange d’audace et de consolation face à une Amérique prise dans la tourmente du Vietnam et du Watergate.

 

D’un récit à l’autre, l’écrivain donne de la profondeur à des personnages superbes aux prises avec leurs contradictions. De ces destins suspendus au bord du vide surgissent des souffrances captées jusque dans leurs moindres frémissements.

 

Virtuose, ce nouveau roman de Colum McCann l’est à l’évidence. Mais ses qualités ne se limitent pas à la maîtrise d’une histoire polyphonique. S’il s’agit d’un sacré bon livre, c’est parce que l’Irlandais capte à merveille les vibrations d’une ville et qu’une fois encore, par la grâce d’une plume bienveillante, il se tient au plus près des humbles. Aux sans-grade, il offre ce formidable hymne à la verticalité.

 

« Et que le vaste monde poursuive sa course folle » par Colum McCann. Traduit de l’anglais par Jean-Luc Piningre. Belfond. 440 pages. 22 €.

 

« Et que le vaste monde poursuive sa course folle », déjà lauréat du National Book Award, vient d’être élu « Meilleur Livre de l’année » par la rédaction du magazine Lire:

 

En savoir plus ICI.

(Photo : Ulf Andersen)

 

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29 novembre 2009 7 29 /11 /novembre /2009 12:02

Une chronique de Frédérique Bréhaut.


On devrait dire "heureux comme un gamin dans un roman de Tadjer". La preuve.

À l’instar des cinéastes, rares sont les écrivains capables de regarder le monde à hauteur d’enfant sans mièvrerie ni condescendance. Or quand la fiction confie un loupiot à Akli Tadjer, elle n’est jamais déçue. Le lecteur non plus.

 

Jules cumule les abandons. Ses parents partis vivre une expérience transcendantale l’ont confié à sa tante, une ex-Clodette attirée par l’appel du "Gay Bédoin", vague cabaret de Tataouine où l’on entretient la flamme de Cloclo. Que faire du bonhomme, de surcroît sourd comme un pot, si ce n’est le transférer à Omar Boulawane, voisin accommodant ?

 

Las. Omar est en plein marasme. La situation de crise porte deux visages. Celui de Godasse, organisateur de matches de boxe trafiqués poursuivi par deux malfaisants. L’autre ressemble à Kader Houssel, pugiliste dépressif depuis que le 11 septembre a atomisé le combat de sa vie programmé ce même jour à New York. Flanqué de tels amis, Boulawane n’a pas besoin d’ennemis. Alors un galopin sourd tendance tête à claques, ça frôle le surnuméraire dans son quotidien.

 

Une émotion durable

Voici "Le bon, la brute et le truand" en version urbaine décalquée, le style "western spaghetti" relevé au goût Tadjer. Autant dire que le rythme ne faiblit pas une seconde et que la verve provoque des passages à hurler de rire. Faites l’expérience d’une lecture à haute voix au profit d’une âme en berne. Vous verrez, le résultat est radical ! Akli Tadjer pourrait se contenter d’être irrésistiblement drôle. Pourtant sa signature est ailleurs, dans la malice tendre dont il enveloppe ses personnages.

 

Entre les lignes des aventures picaresques d’un trio de Pieds Nickelés flanqués d’un môme dégourdi, se cachent des désastres intimes à peine effleurés. D’un roman à l’autre, l’élégance d’Akli Tadjer détourne la gravité du fond sur le ton de l’humour. Qu’il aborde en biais l’histoire algérienne ou les franges du racisme ordinaire, l’auteur du "Porteur de cartable" ajuste les sentiments jusqu’à atteindre la vibration particulière d’une émotion durable.

 

"Western" par Akli Tadjer. Flammarion. 310 pages. 19 €.

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26 novembre 2009 4 26 /11 /novembre /2009 16:45

J’habite chez un chat nommé Caramel. D’aucuns auraient dit : « Mon chat s’appelle Caramel ». Hommes présomptueux ! Ils ne connaissent rien à ces animaux, ceux qui croient les héberger, les domestiquer, les éduquer. Qu’ils lisent donc Louis Nucéra, dont j’aurais aimé qu’il parlât de Caramel avec la même science et toute l’admiration qu’il porte à Siki, Mitsou, Fang, Luigi et quelques autres.

 

Attachant romancier, maître en amitié et expert ès félins, Nucéra énumère les supériorités du chat sur l’homme, dresse « le répertoire des calomnies et le martyrologe » de cet animal pas comme les autres.

 

Balade légère et brillamment documentée, Sa Majesté le chat décline son sujet dans divers registres : religion, histoire, mythologie, littérature… Sans compter les multiples anecdotes dont Louis Nucéra émaille son récit, comme cette triste histoire de l’ami Brassens recueillant un pauvre chat de gouttière victime d’un chauffard…

 

Chant d’amour et plaidoyer, ce court récit frôle parfois le manichéisme : « La société est coupée en deux : les antichats, les prochats. Méfiez-vous de la première catégorie […] Soyez confiants envers les hommes de qualité qui peuplent la seconde. »

 

Mais comment en vouloir à Nucéra, dont ce petit livre dresse en creux le portrait. Le portrait d’un honnête homme, entier et généreux, pris ici en flagrant délit d’amitié pour ses compagnons dont il subit si longtemps, avec délices, la douce tyrannie…

 

Louis Nucéra, Sa Majesté le chat, Archipoche éditions.

 

A lire également :

Simon's cat : le règne du chat tyran !

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23 novembre 2009 1 23 /11 /novembre /2009 14:39


Une chronique de Frédérique Bréhaut.


"J’en ai assez". Ce 14 juillet dans le Médoc, après 33 ans de vie commune, Mylena jette l’éponge. La formule est de circonstance lorsqu’il s’agit d’exprimer la lassitude d’une vie passée auprès d’un buveur invétéré.

 

Face à cette déclaration d’abandon, le narrateur, écrivain épuisé par l’alcool, sent venir le naufrage. Il est temps de sauver ce qui peut l’être, à commencer par l’estime de soi, de reconquérir l’amour de sa femme et le pardon de sa fille. Ironie de cette quête vers la sobriété, c’est dans les vignes où il accomplit un labeur harassant d’ouvrier agricole qu’il va chercher le remède à son mal. Entre le zinc du bistrot local et Pamela, Hortense ou Laurence, ces parcelles de crus bourgeois aux noms féminins, Eric Holder suit des hommes dévorés par leur passion, celle de l’ivresse désenchantée pour l’un, de la vigne pour l’autre. Le narrateur en quête d’un ring où assommer sa dépendance et le vigneron habitué à faire plier les hommes comme les ceps sous sa loi, nouent des rapports ombrageux.

 

"Bella Ciao" en atteste. Eric Holder est un écrivain précieux. En cette voix tenace, les existences trébuchantes aux trajectoires incertaines tiennent le plus attentif des interprètes. L’auteur de "L’homme de chevet", de "Mademoiselle Chambon" (bientôt au cinéma), de nouvelles vagabondes aussi, retrouve la fraternité des éclopés. Il y a du ravaudeur chez ce conteur capable de repérer les motifs les plus émouvants dans des vies effilochées. Ce don touche jusqu’aux seconds rôles, toujours magnifiques à l’image de Lizzy qui épuise sa vie à éviter le travail ou de Colette, si émouvante dans sa dégringolade.

 

Aussi précis lorsqu’il raconte les corps meurtris par la taille des carassons (piquets de vigne) qu’émouvant dans la lettre d’un père abîmé à sa fille, Eric Holder saisit avec la même justesse la nuance d’un cil changeant et les dégrisements. La grâce d’une écriture pour esquisser l’essentiel, ce qui chaque matin donne l’envie de commencer une nouvelle journée.

 

"Bella Ciao" par Eric Holder. Seuil. 147 pages. 16 €.

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