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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 09:54

Depuis le temps qu'il capte des instants furtifs, Philippe Delerm est devenu un chasseur habile de ces plaisirs de contrebande que l'on accumule en douce. 

 

Une chronique de Frédérique Bréhaut

 

Philippe-Delerm-ecrivain_10.jpg

© Hélie Gallimard

 

Avec les années, son art de l'esquisse gagne en densité et le trait, s'il reste fin, prend la teinte bistre d'une mélancolie tenace. Emule de Lucrèce, l'écrivain sait qu'il convient de se réjouir en silence des malheurs qu'on évite. « Le trottoir au soleil » offre cet hommage aux instants fugaces qu'il faut savoir saisir, ces bulles fragiles dont on sait qu'elles ne résisteront pas aux minutes à venir. La soixantaine venue, ses chroniques préfèrent les lumières tamisées, les  éclairages indirects qui soulignent les détails insignifiants.

 

Mélancolie nacrée

 

Plus que jamais, l'écrivain des bonheurs minuscules apprivoise les oxymores pour donner à ses éclats de vie une gravité gracile. Le goût des cerises noires alterne avec le gris mouillé des campagnes du nord, la gêne ressentie dans un restaurant trop empesé s'évapore dans le parfum de lilas fleuris sur le quai d'une gare presque désaffectée. Chez Delerm, le "presque" se hisse au premier rang, parmi des fragments de bric et de broc.

 

Sur la place d'une ville italienne, on voit presque « Huit et demi » projeté dans un cinéma de plein-air, la journée de plage est presque achevée dans le menu cérémonial du départ lorsqu'on replie les serviettes, on perçoit presque le monde alentour au détour de satisfactions dérisoires comme ce plaisir du paysan juché sur son tracteur qui nargue le vadrouilleur dominical contraint de ralentir.

 

Pourtant, entre une porte entrebâillée sur l'intime ou un soupir d'aise né de l'affalement dans un fauteuil « aveu soulagé de toutes les petites dissimulations du jeu social », Philippe Delerm nacre ses éclats de vie d'une mélancolie poudrée et tenace. C'est sa riposte au temps qui passe et aux heures qui blessent quand « arrive l'âge où les regards glissent sur vous sans s'arrêter ».

 

« Le trottoir au soleil » possède le charme tenace que l'on croise dans les chansons de William Sheller; « des mots comme un gilet qu'on boutonne pour se réchauffer le cœur ».

 

« Le trottoir au soleil » de Philippe Delerm. Gallimard. 180 pages. 14,90 €.

 


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