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2 février 2014 7 02 /02 /février /2014 18:28

Jean Rouaud, prix Goncourt avec « Les champs d'honneur » (1990) poursuit sa méditation autobiographique. Dans un style magnifique, « Un peu la guerre » raconte comment on infuse à son insu dans le caractère et l'histoire d'une région. Récit de formation, ce troisième volet de « La vie poétique » revient sur la volonté opiniâtre d’un garçon de « Loire-Inférieure » décidé à devenir écrivain malgré « la mort du roman ».


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Photo : JF Paga.


Propos recueillis par Frédérique Bréhaut

 

Celui que Jean-Louis Ezine appelle « le Beethoven des dépressions atlantiques » distille sur le ton de la douceur obstinée, sa quête d'une identité.


Vous écrivez « On s’emmène partout avec soi et avec soi l’empreinte des siens ». C’est la trame de votre travail mémoriel ?


Le lieu de naissance implique un héritage avec lequel on doit composer sans se laisser écraser. C’est un bagage. Je viens de Campbon, un coin rural, conservateur, catholique, où l’empreinte de la chouannerie était restée très forte. Les récits des guerres de Vendée ont accompagné mon enfance. On désignait encore aux écoliers le vallon de Savenay où s’est terminée la Virée de Galerne. Cette part d’histoire appartenait à la fois à mon héritage familial et à la mémoire collective.


Vous évoquez aussi vos années universitaires à la faculté de Nantes.


A l’époque, Nantes est une jeune université assez peu considérée. Sorti de mon collège Saint-Louis de Saint-Nazaire, le contraste est fort. Je rencontre une autre mémoire collective, façonnée celle-ci par les étudiants des années 68. Loin du socle de la chouannerie, je découvre les idéologies en kit qui circulaient alors, marxisme en tête. Un choc culturel ! Où trouver sa place ? Seule l’écriture permet d’inventer ses propres territoires.


Au moment où vous arrivez à la fac pétri d’ambitions littéraires, on proclame la mort du roman.


J’arrivais avec l’idée conventionnelle d’une littérature faite de belles phrases, et j’apprends que « le roman est mort ». A 20 ans, on n’a pas envie d’aller vers les ringards ; ça m’a déstabilisé. Il m’a fallu dix ans pour tracer mon chemin. J’ai publié mon premier roman tardivement, à 37 ans, trop occupé à l’idée de me défaire d’une idéologie littéraire. Par crainte d’être rangé parmi les réactionnaires, il fallait être subversif. Mais ce qui peut s’appliquer à l’art ne fonctionne pas forcément en littérature. Si le nouveau roman a eu du bon, il avait aussi ses limites.


Que gardez-vous de votre région natale ?


Le contraste de Campbon la rurale prise entre Saint-Nazaire, la ville rouge, autant dire le diable, et Nantes la bourgeoise, un peu méprisante vis-à-vis de la ville ouvrière. D’un côté les magasins chics, de l’autre les ouvriers qui ne vont pas à l’église mais qui fabriquent des paquebots aux lignes magnifiques. Je suis composé de tout cela à la fois. J’ai vendu la maison natale il y a quatre ans et j’ai fait en sorte de couper certains liens avec Nantes. Je suis parti voici maintenant 40 ans et je ne veux pas devenir le Nantais de service.

 

« Un peu la guerre » (Grasset). 245 pages. 18 €.

 

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